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Chronique d’une mort annoncée

Chronique d’une mort annoncée
Publié le jeudi 16 mars 2006.

La patiente agonise entourée de médicastres satisfaits. Sous le drap remonté pour masquer l’évolution du mal, c’est l’hémorragie. Les soignants qui l’assistent ne réagissent pas. Ils se savent responsables de sa mort programmée. Odieux ? Incohérent ? C’est pourtant la situation de la médecine générale. à son chevet se sont pressés, pour l’achever, une succession de thérapeutes incompétents. La dernière réforme du médecin traitant, imposée par un ancien directeur de l’audit d’Axa nommé à la tête de l’Assurance maladie par l’Élysée, a redéfini le rôle du généraliste sans lui en donner les moyens et en chargeant la mule, au-delà du supportable, de contraintes administratives imbéciles et d’injonctions contradictoires.

Je suis médecin généraliste depuis vingt-deux ans, et j’assiste, la rage au cœur, au naufrage de ma profession. Depuis 1980, une pléthore de « brillants » économistes ont limité le nombre d’étudiants en médecine, considérant le médecin comme une bactérie générant, dans une population saine, maladies et dépenses de santé.

Dans quinze ans, 35 000 médecins, hommes et femmes du baby-boom, arriveront en fin de carrière. Pour prendre la relève, moins de 15 000 jeunes diplômés seront disponibles. Et, nouveauté inquiétante, il n’en est quasiment aucun pour choisir la médecine générale. Lors du choix des internes, pour la deuxième année consécutive, un grand nombre de postes sont restés vacants, certains étudiants préférant redoubler plutôt que de choisir cette discipline. à l’autre extrémité de la pyramide des âges, c’est l’hémorragie. Là où la Caisse de retraite attendait que 1 400 médecins libéraux fassent valoir leur droit à la retraite en 2005, pas moins de 2 200 d’entre eux ont dévissé leur plaque. Dans le même temps, dans les colonnes de La Tribune, un représentant de l’Assurance maladie se félicite du « succès » de la réforme qui, assure-t-il, envoie un signal fort aux étudiants pour les inciter à choisir la médecine générale, une filière porteuse d’avenir... Est-ce du cynisme, de l’incompétence ? Probablement les deux. Car la réforme imposée aux Français et aux généralistes a consisté en un arrangement tarifaire négocié entre l’UMP et les syndicats de spécialistes traditionnellement proches de cette formation politique. Tandis que ceux-ci s’octroyaient de substantielles revalorisations [1] et la possibilité de pratiquer des dépassements si le patient ne suivait pas le « parcours coordonné », les généralistes n’ont bénéficié d’aucune revalorisation leur permettant de coordonner ledit « parcours », avec, en plus du soin, la gestion des lettres et comptes rendus, des protocoles administratifs, du dossier médical sur internet (en sus de leur propre dossier informatisé), dont ils seront responsables pénalement, et ceci sans même le moyen de rémunérer une secrétaire. C’est sur eux que pleuvent les contraintes administratives, c’est vers eux que se tournent les patients perdus dans le labyrinthe tarifaire de la réforme. Ce sont eux, s’ils pratiquent la dispense d’avance de frais, qui sont victimes de l’incapacité des caisses à rembourser correctement. Eux à qui on enjoint de prescrire des génériques pour économiser quelques euros, tout en autorisant la mise sur le marché de pseudo innovations coûteuses insuffisamment évaluées. Eux que l’on charge de restreindre les arrêts de travail, alors qu’aucune étude n’a révélé une gabegie dans ce domaine. Au contraire, nombre de salariés précarisés refusent des arrêts justifiés.

Confrontés au double discours qui les pare de toutes les vertus sans leur donner les moyens d’assumer leur charge, et à l’obsessionnel contrôle administratif qui les somme de réduire les dépenses coûte que coûte, les médecins généralistes, parfois les plus dévoués, quittent le navire, soucieux de protéger leur santé, de sauver leur peau. Pendant ce temps, tandis que se pressent à son chevet tant de criminels Diafoirus, la médecine générale agonise. Mais n’ayons crainte : d’après son dernier bulletin de santé, elle mourra guérie.

Christian Lehmann est médecin généraliste et romancier. Dernier ouvrage paru : Patients, si vous saviez... Confessions d’un médecin généraliste (Robert Laffont)
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