10 Février 2011
Mortalité imputable au Mediator : les réserves du Pr Jean Acar
24e Journée de Cardiologie des Yvelines
Dans la tempête médiatique du Mediator, le Professeur Jean Acar, ancien chef de service de cardiologie à l’hôpital Tenon, spécialiste reconnu des valvulopathies, fondateur du groupe valvulaire de la Société française de cardiologie, est une des rares voix à s’élever pour émettre de sérieuses réserves sur la méthodologie des études ayant permis d’estimer le nombre de décès imputables à ce médicament, commercialisé en France de 1976 à 2009.
Les réserves qu’il émet, les cardiologues les entendent avec intérêt tant ils cherchent une explication au fait que durant toutes ces années, qu’ils soient cliniciens, échocardiographistes ou chirurgiens, ils n’aient rien vu qui puisse aujourd’hui valider ces chiffres de mortalité cumulée, qui vont de 500 à 2 000. Aussi est-ce devant un large auditoire particulièrement attentif que ce spécialiste des valvulopathies est venu s’exprimer lors de la 24e Journée de Cardiologie des Yvelines, au cours d’une session modérée par les Drs Jean-Pierre Blanquart et Jean-Pierre Huberman.
Au préalable, le Pr Acar précise à l’assistance qu’il n’est soumis à aucun conflit d’intérêt avec les entreprises du médicament, en particulier avec le laboratoire Servier. Son exposé débute par un rappel de l’histoire des valvulopathies dues au Benfluorex (B) depuis le premier cas de G.Chiche à Marseille en 1999, jusqu’aux 61 cas rapportés à la pharmacovigilance à fin décembre 2010. Mais ce sont deux études cas-témoins (I. Frachon et C.Tribouilloy), l’étude Regulate (G. Derumeaux), initiée par les laboratoires Servier, et l’expertise de B. Iung qui vont conduire au retrait du médicament en novembre 2009.
Le Pr Acar détaille alors le dossier en analysant un à un les points acquis et les points discutables.
Les points acquis :
Reprendre les 64 cas de décès et analyser tous les items
Les points qui restent sujets à caution sont principalement ceux qui concernent la mortalité imputable à B, les chiffres étant des extrapolations faites à partir de données qui ne sont pas exemptes de critiques. Or, c’est le nombre supposé de morts qui a déclenché la tempête médiatique : selon C. Hill, plus de 465 décès sur 5 ans ½, allant de pair avec plus de 3500 hospitalisations et 1750 chirurgies cardiaques sur 4 ans ; d’autres estimations ont même parlé de 2000 décès.
Le PMSI est un outil précieux d’allocation budgétaire mais il a des limites. Il expose à des erreurs, le plus souvent de codage, estimées à l’APHP à 15 à 20% (analyse menée en 2005). Les critères de sélection des insuffisances valvulaires sont imprécis en ce qui concerne l’étiologie et sont sources d’erreur. Ils reposent sur l’utilisation de 2 codes : insuffisances valvulaires rhumatismales ou non rhumatismales. Or les valvulopathies rhumatismales sont devenues rares en France, principalement diagnostiquées chez des migrants, et la majorité des autres valvulopathies sont d’origine dégénérative et leur fréquence augmente avec l’âge ; autre exemple, les maladies multivalvulaires, fréquentes dans le cadre des valvulopathies secondaires au B., sont sélectionnées selon un code (108) indiquant « atteintes valvulaires » sans distinction entre les types de dysfonction (régurgitation, maladie ou sténose) ; or seules les régurgitations pures pourraient éventuellement être attribuées au B.
Pour obtenir des données fiables, il aurait fallu être en mesure de ne retenir que les insuffisances valvulaires de type restrictif. Et le Pr Acar de considérer comme très regrettable qu’il manque des données aussi fondamentales que les résultats échographiques, les comptes-rendus opératoires, les examens histologiques des valves excisées.
En guise de conclusion, le Pr Acar exprime un profond scepticisme vis-à-vis des chiffres de mortalité calculés par extrapolations. Si la toxicité valvulaire potentielle de B ne fait pas de doute, la prévalence étant encore discutée, proche sans doute de 0.5 à 1 pour 1 000 patients traités, il est arbitraire d’estimer la fourchette des décès entre 500 à 2 000 morts. Pour le Pr Acar, il serait donc urgent de reprendre les dossiers des 64 cas de décès afin d’analyser tous les items qui font cruellement défaut à ce jour et de confronter ces données à l’expertise de cardiologues spécialistes des valvulopathies ; cette observation permet de souligner qu’aucun cardiologue ne figure parmi les signataires des études Cnam1 et Cnam2.
Un dernier point doit être abordé : la possibilité d’hypertension artérielle pulmonaire de type primitif.
C’est une affection rare mais sévère dans une population normale (1 à 2 cas par an pour 1.000.000 d’habitants). L’HTAP secondaire aux anorexigènes (Aminorex, Pondéral, Isoméride) a été bien documentée. Depuis 1999, quelques cas ont été attribués au B. administré isolément ou avec un autre dérivé amphétaminique.
Tout récemment, l’enquête CNAM 2 a fait état de 99 cas de sujets hospitalisés pour HTAP dans un lot de 303.336 patients exposés au B. en 2006 ; 21 décès sont comptabilisés.
De l’aveu des auteurs, « les cas cliniques sont souvent complexes … marqués par des difficultés de diagnostic » ; effectivement, des renseignements complémentaires sont absolument nécessaires avant d’authentifier, dans cette série, ce type de pathologie.
Dans le temps des questions de l’auditoire, le Pr Acar a précisé qu’il n’était pas nécessaire de faire d’investigation cardiologique particulière chez un patient asymptomatique dont l’auscultation cardiaque est normale quand la médication a été interrompue depuis plus de 2 ans.
Une autre question concernait une patiente asymptomatique, ayant consommé B durant 10 ans et venant consulter un cardiologue, craignant des lésions valvulaires induites par B. ; l’échocardiographie ne montrant qu’une fuite mitrale triviale, que faut-il lui proposer comme suivi ?
Pour le Pr Acar, il y a peu de chance que la situation évolue et on pourra se contenter d’une seconde échocardiographie de contrôle dans 3 à 4 ans.
Pour des renseignements plus détaillés, le rapport de J.Acar « Benfluorex, valvulopathies et décès, un autre regard »
est téléchargeable sur le site www.cardiologie-francophone.com
http://www.cardiologie-francophone.com/PDF/benfluorex-pr-acar.pdf