16 Septembre 2011
Anticoagulants : bientôt la fin des AVK ?
En démontrant la supériorité de l’apixaban sur la warfarine pour la prévention des AVC dans la FA, l'étude ARISTOTLE confirme les espoirs suscités par les nouveaux anti-thrombotiques. Mais si ces nouvelles molécules ouvrent à l’évidence une nouvelle ère dans le traitement anti-coagulant par voie orale, il reste encore du chemin à parcourir avant de pouvoir proclamer la disparition des AVK.
Il a inclus 18 201 patients atteints de FA et présentant un facteur de risque additionnel d’AVC {âge ≥ 75 ans, antécédent d'AIT/AVC ou d'embolie systémique (ES), insuffisance cardiaque ou FEVG≤40 %, diabète, HTA}.
Ces sujets ont été randomisés en double aveugle pour recevoir soit de l’apixaban 5 mg 2 fois par jour soit de la warfarine à des doses maintenant l'INR entre 2 et3.
Réduction simultanée des AVC et des saignements
À l’issue de l’étude, le taux d’AVC ischémique ou hémorragique et d’embolie systémique, qui constituait le critère de jugement primaire de l’essai, était de 1.27 % par an sous apixaban vs 1.6 % pour la warfarine, soit une réduction du risque relatif de 21 % sous apixaban (p =0.011). Des résultats d'autant plus satisfaisants que dans le même temps, le nombre de saignements majeurs était diminué de 31 % sous apixaban (2.13 % par an vs 3.9 %, p=<0.001), comme celui de décès de toute cause (3.52 vs 3.94 %, HR=0,89, p=0.047). "L'apixaban est donc supérieur à la warfarine pour la prévention des AVC et des embolies systémiques dans la FA, provoque moins de saignements et réduit la mortalité de toute cause" s’est félicité le Pr Christophe Granger principal investigateur de l’étude. Une autre analyse d’ARISTOTLE confirme par ailleurs que "le bénéfice de l'apixaban sur la warfarine persiste, quelle que soit la qualité du contrôle de l'INR obtenu dans les centres investigateurs" a précisé Lars Wallentin (Suède) en présentant l’étude.
Ces résultats positifs viennent conforter ceux de l’étude AVERROES qui avait déjà établi la supériorité de l’apixaban versus aspirine dans cette indication.
Ils s’inscrivent aussi dans la lignée des données des essais RE-LY et ROCKET-AF menés respectivement avec le dabigatran et le rivaroxaban, deux autres nouveaux venus dans la famille des anticoagulants .
Présenté il y a deux ans à l’ESC, RELY montre que dans la FA, le dabigatran à la dose de 150 mg 2 fois/jour réduit les AVC par rapport à la warfarine, pour un taux global de saignements identique; la dose de 110 mg 2 fois /jour diminuant les épisodes hémorragiques pour une même efficacité sur les AVC.
Dans ROCKET-AF, le rivaroxaban 20mg en une dose/jour se montre non-inférieur à la warfarine en intention de traiter, avec une réduction des hémorragies cérébrales et des saignements fatals.
Globalement ces molécules ont donc toutes trois un profil bénéfice/risque favorable par rapport aux AVK pour la prévention des AVC dans la FA, avec une réduction des saignements en particulier cérébraux et une diminution de la mortalité toute cause.
L'analyse des résultats révèle cependant des nuances dans l'amplitude de leur effet, ce qui n'autorise pas pour autant à tirer des conclusions sur leur supériorité respective.
Les études présentent en effet des différences notables dans le « design » -randomisation en double aveugle dans ROCKET et ARISTOTLE, en ouvert dans RE-LY- et dans les populations incluses : le risque embolique est plus élevé dans ROCKET-AF (CHADS2 moyen de 3.48 %) que dans ARISTOTLE et RE-LY (CHADS2 à 2.1 %).
Encore plusieurs bémols
Quoi qu’il en soit, "avec plus de 50 000 patients évalués dans les différents essais, l'arrivée de ces molécules est vraiment une bonne nouvelle estime Lars Wallentin puisqu'ils sont au moins aussi efficaces que la warfarine et plus sûrs ».
De fait, "rapport bénéfice/risque très positif, bonne tolérance à long terme, absence d'interaction alimentaire, fenêtre thérapeutique large aux doses standard et coagulation stable sans monitoring biologique rendent ces molécules très attractives reconnaît le Pr Philippe MABO (Rennes).
Il conviendra cependant d'être très prudent et malgré l'absence de surveillance biologique, l'adaptation posologique reste une priorité ».
Un marqueur biologique est à l'étude mais sa relation directe avec le risque hémorragique reste à établir.
Comme pour tout anticoagulant, la dose devra donc être modulée, en particulier chez les plus de 80 ans, les faibles poids, les femmes et en cas d'altération de la fonction rénale. L'insuffisance rénale sévère reste une contre-indication, mais toute altération de la fonction rénale demande d'adapter les doses, et ce pour toutes les molécules même si leur taux d'élimination rénale diffère.
Va aussi se poser la question d'un sous- ou surdosage en cas de pathologie digestive augmentant ou freinant l'absorption.
Les risques de surdosage sont d'autant plus préoccupants qu'il n'y a pour l’instant pas d'antidote.
Des facteurs Xa et peut-être aussi un anticorps pour le dabigatran sont en cours de développement, mais actuellement, en dehors des facteurs de coagulation, on ne dispose pas de traitement spécifique en cas d'hémorragie majeure.
«N'oublions pas non plus les interactions possibles du dabigatran avec la dronédarone et l'amiodarone, et celle des inhibiteurs du Xa avec le vérapamil » rappelle le Pr Mabo.
Autre difficulté, on ne dispose aujourd'hui d'aucune information précise sur la façon de prendre le relais en cas de chirurgie ou de SCA intercurrent.
Enfin, l'augmentation du risque d'IDM sous dabigatran a été très discutée ; même s’il n'est pas lié à un effet négatif du dabigatran mais plus à la supériorité des AVK sur le risque coronaire.
Ainsi, « si ces nouvelles molécules ouvrent à l’évidence une nouvelle ère dans le traitement anticoagulant par voie orale, comme pour toute nouvelle classe thérapeutique, il nous faudra apprendre à les manier avec prudence et l’on connaîtra sans doute une phase transitoire un peu délicate ce qui incitera à ne pas se précipiter pour changer le traitement d'un patient sous AVK bien équilibré et observant », conclut le Pr Philippe Mabo.
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