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Allemagne : pourquoi les médecins craquent

Allemagne : pourquoi les médecins craquent

Le Généraliste : Depuis janvier, le mouvement de grogne des médecins allemands – l'un des plus longs de l'histoire – s'intensifie dans l'ensemble du pays. Avec cette mobilisation générale, les généralistes se retrouvent aux côtés de leurs confrères spécialistes, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé. Pourquoi ?

Dr Rainer Kötzle. Nous connaissons tous les mêmes problèmes : une baisse de nos honoraires de 15 à 20 %, un surcroît de travail dû à une bureaucratisation de nos tâches et à une forte réglementation. Les grèves qu'ont menées nos confrères hospitaliers ont les mêmes causes. C'est seulement aujourd'hui que le gouvernement commence à prendre conscience du problème. Pour 30 % d'entre nous, la situation financière est désastreuse. La survie de leur cabinet est menacée. Et maintenant, la nouvelle loi sur le médicament* voudrait nous ponctionner à la source sur nos honoraires par un système de malus en cas de dépassement du budget des prescriptions !

En quoi vos revendications se distinguent-elles de celles de vos confrères spécialistes ?

R.K. Nous voulons un système de rémunération spécifique aux généralistes, fondé, non plus comme c'est le cas actuellement, sur un système de points, mais sur un forfait en euros, qui comprendrait une base de 25 euros par patient et par mois et des suppléments pour des prestations supplémentaires comme les visites à domicile, les examens cardiovasculaires, la proctologie, ou encore pour les patients présentant des pathologies multiples. Ce mode de rémunération correspondrait parfaitement à la prise en charge en médecine générale, qui est centrée sur la communication avec le client, l'anamnèse et le conseil, prestations qui ne sont que très faiblement rémunérées actuellement…

La mise en place de ce système supposerait une véritable révolution. A savoir, l'abandon des points accordés à chaque prestation, dont le montant est réévalué en fonction du nombre de patients et des prestations effectuées…

R.K. Oui, cela chamboulerait la donne actuelle, et supprimerait de facto les KV (les Kassenärztliche Vereinigung représentent les médecins de ville au plan régional lors de la négociation avec les caisses, ndlr), car ce ne serait plus à elles, mais à nous, en tant qu'organisation professionnelle majoritaire, que reviendrait le droit de négocier avec les caisses. Mais surtout, un tel système nous éviterait de travailler pendant 30 % de notre temps pour rien, comme nous le faisons actuellement.

Avez-vous des chances de voir inscrire ce nouveau modèle dans la future loi de réforme à l'automne prochain ?

R.K. Nos chances ne sont pas si mauvaises. D'une part, les politiques souhaitent voir disparaître les KV qu'ils estiment trop coûteuses. Et d'autre part, il est temps que le gouvernement prenne conscience que cela ne peut plus durer. Les généralistes ne représentent plus que 39 % de la population médicale de ville. Les jeunes ne sont plus attirés par la médecine générale, en raison de la rémunération – nous gagnons, en moyenne, 20 % de moins qu'un spécialiste – et de la prépondérance des tâches administratives qui nous prennent désormais 30 % de notre temps. Il en va de la responsabilité politique de nos dirigeants d'assurer les soins à l'ensemble de la population et de ne pas voir s'étendre la situation de désertification médicale que nous connaissons déjà à l'est du pays.

Hormis une révision de votre mode de rémunération, que proposez-vous au gouvernement ?

R.K. Dans le passé, nous avons acquis des avantages en tant que généralistes. Par exemple, notre fonds de rémunération a été séparé de celui des spécialistes. Ou encore, depuis la dernière réforme (janvier 2004, ndlr), nous avons la possibilité de conclure des contrats de coopération directe avec des caisses. Actuellement, 38 000 généralistes et un million et demi d'assurés de la caisse de maladie Barmer sont ainsi liés par un contrat de soins intégrés. Un contrat avec la AOK (principale caisse du régime général, ndlr) existe par ailleurs dans six régions. Nous voulons voir tous ces avantages acquis s'inscrire dans la continuité et surtout voir s'intensifier notre rôle de pilote dans le système de soins, en tant que médecin traitant. Nous demandons donc au gouvernement d'autoriser les caisses à établir des tarifs préférentiels pour les assurés qui choisiront un médecin traitant.

De telles mesures suffiront-elles à endiguer le déficit des caisses qui devrait atteindre 8 milliards d'euros l'année prochaine ?

R.K. En tant qu'organisation professionnelle, il ne nous revient pas de prendre parti pour l'un ou l'autre mode de financement de l'Assurance maladie. Ce que nous constatons, c'est qu'il y a de l'argent dans ce système, mais aussi beaucoup de déperditions parce qu'il manque de structures et donc d'efficacité ; il n'y a pas assez de coordination, par exemple, entre les généralistes, les spécialistes et les hôpitaux. Nos propositions, qui consistent à établir avec les caisses des contrats de soins intégrés, mais aussi des programmes en faveur des malades chroniques, des soins palliatifs, de la prise en charge de la douleur, vont dans le bon sens. Il faut donner au généraliste sa place de pilote au sein du système de soins et permettre aux caisses d'offrir des tarifs spéciaux gratifiant le choix d'un médecin traitant.

Qu'attendez-vous désormais de la coalition gouvernementale CDU-SPD qui doit annoncer sa nouvelle réforme d'ici au 1er mai ?

R.K.. Angela Merkel l'a dit : il n'y aura que de petits pas. Il est clair qu'un gouvernement de coalition ne peut se retrouver que sur des compromis. Mais il ne peut plus ignorer les problèmes auxquels nous sommes confrontés, il va être obligé de faire bouger les choses. C'est en cela que notre mouvement de contestation est très important car il a démontré que nous avions tous une base commune et que nous ne pouvions plus tolérer la situation. Un tiers d'entre nous sont menacés dans leur existence professionnelle !

* La nouvelle loi sur le médicament, dont l'entrée en vigueur a été reportée au 1er mai, devrait permettre 1,3 milliard d'euros d'économies par an aux caisses.
Son but est d'influer sur les prescriptions, de favoriser les génériques et d'éviter les prescriptions de médicaments trop coûteux en pénalisant les prescripteurs directement sur leurs honoraires par un système de malus.

C'est seulement maintenant que le gouvernement commence à prendre conscience de la situation.
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