Transfert de compétences et délégations de tâches : Le coup d’accélérateur
Pour faire face à la pénurie médicale, les expérimentations de délégations de tâches, timidement menées depuis 2004, vont prendre un nouvel élan grâce à la parution d’un arrêté relatif à la coopération entre professionnels de santé.
Ici, les infirmiers vont assurer seuls des consultations de suivi ; là, ils seront autorisés à prescrire.
Le dispositif, très encadré, sera évalué avant d’être généralisé en cas de résultats satisfaisants.
Pour l'essentiel, les délégations de tâches seront testées à l'hôpital (S.Toubon)
LA DIMINUTION annoncée de la démographie médicale et le besoin de reconnaissance revendiqué par les professions paramédicales rendent nécessaire l’expérimentation du transfert de tâches et de compétences, recommandait le Pr Yvon Berland dans un rapport remis en octobre 2003. Ces expérimentations, rendues possibles par la loi de santé publique du 13 août 2004, ont débuté après la sortie de l’arrêté du 13 décembre 2004. Mais à vitesse limitée.
Un nouvel arrêté, paru au « JO » le 30 mars dernier, prolonge d’un an les tests en cours, et élargit le nombre de sites expérimentateurs.
Désormais, ce ne sont plus cinq, mais dix expérimentations qui vont être menées parallèlement, dans des disciplines telles que l’oncologie, la radiologie, la cardiologie, la neurologie ou encore l’urologie.
Une seule expérience concerne le secteur libéral (voir ci-dessous).
Pour le reste, les délégations de tâches seront testées à l’hôpital.
Formation adaptée. Les pouvoirs publics suivent de près l’opération. Les actes délégués aux infirmiers sont strictement délimités.
Il peut s’agir, selon le lieu, de l’évaluation de la situation clinique du patient, du diagnostic de la situation, de la reconduction de traitement, de la coordination avec le médecin traitant, ou encore de la prescription d’examens complémentaires ou de médicaments de confort.
Les infirmiers doivent recevoir une formation adaptée ; à charge ensuite pour eux de suivre les protocoles établis par les équipes médicales. Les résultats seront évalués – qu’il s’agisse du gain de temps médical ou de l’impact économique et sanitaire –, avant d’envisager une éventuelle généralisation de ces transferts de compétences.
Sans s’opposer au principe, la profession infirmière émet plusieurs réserves. D’ailleurs, la commission infirmière du conseil supérieur des professions paramédicales s’est unanimement opposée aux expérimentations en novembre dernier.
L’un de ses membres, Annick Picard (CGT), s’explique : «Trop de choses ne sont pas abouties, notamment la formation. A qui appartient la responsabilité en cas d’erreur? Cela, par exemple, n’est pas précisé.»
A l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, sélectionné pour mener deux expérimentations en neurologie et en oncologie, les infirmiers ont freiné des quatre fers. «Notre formation est insuffisante, il y a un risque d’erreur –comme le fait de passer à côté d’une complication– que les infirmières ne sont pas prêtes à assumer, explique anonymement un syndicaliste de l’établissement. Ce n’est pas parce que l’on a un bac+3 que l’on ressemble à un bac+8. Un autre problème se pose: la tarification à l’activité ne reconnaît pas l’activité paramédicale. Tenir la main d’un malade n’est pas reconnu. Nous voulons bien faire plus qu’aujourd’hui, mais cela doit être reconnu et rémunéré.»
Formation et reconnaisance. Mais ailleurs, certaines expérimentations sont déjà bien engagées. C’est le cas à Saint-Nazaire, où une infirmière coordonne la chimiothérapie à domicile depuis deux ans dans le cadre du réseau oncologique local. Isabelle Minaud se sent «valorisée» par ses nouvelles fonctions. «Je sers d’intermédiaire entre les oncologues et les médecins généralistes dans la reconduction des traitements, décrit l’infirmière. J’explique aux médecins traitants ce qu’il faut prescrire. Ils ont une réponse directe et plus rapide avec moi, pour eux c’est un confort.» Le médecin qui pilote le projet est enthousiaste : «L’infirmière est autonome dans 90% des cas. Elle ne contacte l’oncologue que si le patient présente un profil complexe ou de mauvais résultats, ce qui nécessite une réévaluation médicale», explique le Dr Philippe Bergerot, radiothérapeute.
La publication du nouvel arrêté au « JO » devrait donner un coup d’accélérateur à cette expérimentation en Loire-Atlantique.
A terme, Isabelle Minaud obtiendra peut-être le droit de reconduire elle-même les chimiothérapies à domicile. «Mais si l’on fait un peu le boulot des médecins, il nous faudrait une formation, une couverture juridique et une reconnaissance financière», ajoute-t-elle.
Toutes les expérimentations, cependant, ne sont pas bonnes à poursuivre. L’une d’elles a d’ailleurs été stoppée net, sur ordre du ministère de la Santé. Dès le départ, l’idée avait déclenché une polémique : à Toulon, la sortie de véhicules Smur avec un infirmier seul à bord, testée dès 2003, a fait l’objet de vives critiques, notamment du côté de Samu de France.
Aujourd’hui encore, son président, Marc Giroud, n’en démord pas : «Cette expérience a été un échec, il y a eu des pertes de chance pour les patients, affirme le président de Samu de France. Ce n’est pas parce qu’il y a des problèmes de démographie médicale qu’il faut faire n’importe quoi. Mieux vaut être prudent. Seulement certains actes techniques de soins peuvent être délégués aux infirmiers. L’élaboration du diagnostic et la définition de la stratégie de prise en charge, en revanche, doivent rester du ressort du seul médecin.»
Mais le chef du Smur de Toulon, le Dr Jean-Jacques Arzalier, refuse de parler d’échec. «Le bilan est positif, assure-t-il. Le système a tourné pendant trois ans sans difficulté, sans demande d’explication ni de plainte de patients.» Pendant trois ans, près du tiers des sorties Smur à Toulon ont été réalisées sans médecin à bord. Aujourd’hui, seuls les transports dits secondaires – ceux qui assurent le transfert d’un patient entre deux établissements – continuent à être parfois réalisés par un infirmier seul, conformément à ce qu’autorise le décret urgences attendu ces jours-ci. Les transports primaires paramédicaux sont en revanche interdits
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> DELPHINE CHARDON
Le Quotidien du Médecin du : 14/04/2006