9 Octobre 2007
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2008 permet aux médecins libéraux volontaires de signer directement avec leur caisse des contrats sur des engagements individualisés
de prescription,
de prévention,
de participation à la permanence des soins ou
d'amélioration des pratiques.
A la clé, une rémunération (forfaitaire) liée aux résultats, « à la performance ». Opportunité ou menace ?
Le système conventionnel, la relation médecin-patient, mais aussi le rôle des syndicats représentatifs sont en jeu.
Une réforme qui, si elle est adoptée, pourrait modifier le rapport médecin-patient(S Toubon/"le Quotidien")
SUJET D'ÉTUDE pour l'assurance-maladie : comment développer de nouveaux contrats avec les médecins de ville permettant de mieux maîtriser la consommation de médicaments et de tester une rémunération alternative au paiement à l'acte, jugé inflationniste ?
En juillet, la CNAM avait rendu sa copie. Elle avait suggéré au gouvernement d'autoriser dès 2008 des expérimentations «autour de la mise en oeuvre de contrats individuels» prévoyant des engagements ciblés et une «rémunération à la performance» des médecins.
L'idée a cheminé : elle s'incarne aujourd'hui dans un article du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2008, qui pourrait avoir des répercussions majeures.
Que prévoit-il ?
Les caisses primaires d'assurance-maladie (CPAM) pourront proposer directement aux médecins libéraux de leur ressort de signer un contrat comportant des «engagements individualisés».
S'il revient à l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam) d'élaborer un «contrat type» (définissant l'ensemble des thèmes possibles), le champ de ces nouveaux accords caisse-médecin semble infini :
engagements sur des volumes de prescription ;
investissement dans des actions de dépistage, de prévention, de continuité et de coordination des soins ;
mais aussi participation à la permanence des soins, au contrôle médical, ainsi qu'à toute action d'amélioration des pratiques, de la formation et de l'information des professionnels.
Ces accords, précise le projet de loi, déterminent les «contreparties financières» liées à la réalisation des objectifs, autrement dit, les modalités d'une rémunération à la performance (forfaitaire, complémentaire du paiement à l'acte).
Les médecins seraient payés directement par les caisses. Instructif, l'exposé des motifs de l'article explique que ces contrats s'adressent aux praticiens qui «souhaitent aller plus loin» dans tous les domaines précités.
Efforts accrus, culture de l'évaluation et du résultat, paiement au mérite : Nicolas Sarkozy ne renierait sans doute pas ces objectifs, et la sémantique qui les accompagne.
Yves Bur (UMP) : il faut des réformes « plus efficaces ». Jean-Pierre Door, député UMP et rapporteur du PLFSS sur le volet « maladie » prévient : l'article sur les contrats individualisés n'est ni anodin ni conjoncturel. «Il pourrait amener un changement radical du système conventionnel.»
Ce serait même un avant-goût du débat en préparation (2008) sur une nouvelle organisation des soins (qui passe par la création d'agences régionales de santé). «Certains ont parlé trop vite d'un PLFSS de transition, analyse Jean-Pierre Door. En réalité, le gouvernement tenait à ce que cet article structurel soit dans le projet de loi, c'est une façon d'amorcer un débat plus profond.»
Le député insiste sur le caractère «expérimental» des contrats spécifiques. «Nous devrons faire des essais, explique-t-il, etvoir avec les professionnels jusqu'où on peut aller sans casser le système conventionnel.»
Pour le député UMP Yves Bur, également rapporteur du PLFSS pour l'équilibre financier, ces contrats individualisés pourraient jouer un rôle de catalyseur de la maîtrise médicalisée, dont les résultats sont jugés inégaux par la majorité. «Nous devons aller plus loin, plus vite, pour que les réformes soient plus efficaces, met-il en garde. Cela passe sans doute par une responsabilisation individuelle accrue. Nicolas Sarkozy nous demande d'innover, d'expérimenter et ensuite de généraliser, si ça fonctionne.» Quitteàcourt-circuiter les organisations représentatives ? Le même député constate que «le paysage des syndicats médicaux est morcelé et peu de professionnels se sentent engagés par la signature de l'un ou de l'autre. Il ne doit plus y avoir de chasse gardée». Une façon de prévenir que l'efficacité d'une politique se juge d'abord aux résultats.
Claude Le Pen (économiste de la santé) : une brèche.
L'économiste de la santé Claude Le Pen juge que l'article sur les contrats individuels, passé plutôt inaperçu avec la polémique sur la liberté d'installation, est «spectaculaire et restructurant» pour l'offre de soins. «On y retrouve plusieurs idées, analyse-t-il. Le conventionnement sélectif de Gilles Johanet [ancien directeur de la CNAM], le médecin référent, avec la volonté, cette fois, de contourner les syndicats, la logique de résultat individuel… c'est une petite agression contre le système conventionnel, en tout cas, ça ouvre une brèche.»
Ce mécanisme de rémunération à la performance est-il au moins efficace pour diminuer les dépenses dans les pays où il est appliqué ? «On obtient parfois une meilleure maîtrise de la prescription, mais c'est un sujet de controverse sans fin», nuance Claude Le Pen.
Du côté de la caisse, on se refuse pour l'instant à commenter le projet de loi, a fortiori de préciser les modalités d'une rémunération à la performance (modalités, montant). «Le texte n'est pas voté. Il y aura des modifications», explique-t-on.
L'éthique menacée ?
Les représentants de la profession sont déjà sur leurs gardes. Dans le camp des opposants les plus déterminés, le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, affirme que l'«intéressement individuel à la réalisation des objectifs d'économie» conduira à un «conflit d'intérêt médecin-patient», dèslors qu'il s'agira de limiter certaines prescriptions. Outre le risque d'altération du colloque singulier,ces contrats sur objectifs seraient la première marche vers «la disparition de la convention nationale» ouvrant la voie au «conventionnement individuel» par les caisses.
Certains objecteront que l'avenant n° 23 à la convention (signé en mars par la CSMF, le SML et Alliance) a ouvert une faille, en introduisant des objectifs déclinés individuellement pour chaque médecin traitant (dépistage du cancer du sein, vaccination antigrippale chez les personnes âgées). «Il s'agissait d'objectifs pédagogiques, négociés dans un cadre collectif national, cela n'a rien à voir», argumente Michel Chassang.
La Fédération des médecins de France (FMF) est également hostile à cette innovation.
«Ces contrats ne répondent pas à l'éthique, affirme le président Jean-Claude Régi. Il n'est pas question de récompenser des médecins parce qu'ils restent dans des clous.» Le SML a un avis plus nuancé. Lors des négociations conventionnelles, ce syndicat avait défendu un projet de «maîtrise plus» procurant une rémunération complémentaire aux médecins qui acceptent de s'engager davantage (sur la prévention, la santé publique, le suivi des ALD…). Mais, insiste le président Dinorino Cabrera, «cela ne peut se concevoir que dans le cadre d'une négociation collective et sur un champ précis». Ce qui n'est pas le cas. Le projet du gouvernement en l'état, dénonce le Dr Cabrera, «écarte» les syndicats et soumettra chaque médecin à la tutelle des directeurs de caisse. Or l'histoire a montré que certains s'illustrent par un zèle tout particulier.
C'est la crainte de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL) : les libéraux de santé «n'ont pas vocation à devenir les fonctionnaires ou les exécutants des CPAM».
Malgré ces réticences syndicales, rien ne dit que des médecins ne seront pas intéressés par ces nouveaux contrats. Ceux notamment qui, pour reprendre les termes volontaristes du projet de loi, souhaitent «aller plus loin».
Vu de France, c'est une révolution, mais en Grande-Bretagne, reine de la culture du résultat, les médecins n'y trouvent rien à redire : cela fait des années qu'ils doivent rendre des comptes et qu'ils sont personnellement jugés sur la qualité du service rendu.
C'est Tony Blair qui a instauré le « pay for performance » pour les médecins exerçant au National Health Service (NHS), le système public de santé, peu après son élection en 1997. Objectif : réduire les listes d'attente et booster la qualité des soins. `
Depuis, chaque médecin signe un contrat annuel avec l'Etat sur la base d'objectifs précis : réduction des délais de rendez-vous, des infections nosocomiales, durée de la consultation, nombre de patients opérés, amélioration des prescriptions... Les sociétés savantes ont édicté des dizaines de « guidelines ».
Les médecins sont tenus de suivre à la lettre ces directives, sous peine de se voir refuser un bonus financier au terme d'une évaluation annuelle très poussée.
La prime au mérite peut représenter le quart, voire la moitié, des revenus. Une autre mesure incite à la qualité : les médecins sont classés chaque année sur la base de leur évaluation. Des tableaux sont publiés, avec, dans chaque spécialité, un premier et un dernier... Voilà qui apparaîtrait comme une autre révolution en France.