4 Septembre 2007
Le défi sanitaire des médecins de Dinan.Article de Jean PAILLARD - Directeur de publication de la revue " Le Généraliste"
Dans les Côtes d’Armor, une vingtaine de généralistes sont engagés dans une expérience inédite de dépistage du risque cardiovasculaire.
En matière de prévention, ce projet pourrait être précurseur.
D’autant qu’il table sur une coopération avec pharmaciens et paramédicaux et prévoit un intéressement du praticien.
J - 30 avant le 31 octobre ! Pour les professionnels libéraux du pays de Dinan, le compte à rebours s’est engagé le 1er novembre 2006.
Et depuis, chaque jour, le site fmcdinan.org égrène la date fatidique, histoire de maintenir intacte la motivation de la vingtaine de généralistes, des 14 infirmiers et 14 pharmaciens engagés dans Prevarance, une première en matière de prévention.
Objectif de cette première phase d’inclusion: dépister les risques cardiovasculaires d’au moins 60% des hommes de 50-54 ans et des femmes de 60-64 ans, sur les cinq communes de Dinan, Quevert, Lanvallay, Lehon et Pleudihen, une zone géographique de 25 000 habitants, au nord-est de la Bretagne.
« On aurait préféré inclure des patients plus jeunes, explique le Dr Gérard Hamonic, mais il fallait que cela coïncide avec les recommandations de la HAS, qui incluent un facteur de risque lié à l’âge. » Cheville ouvrière de l’opération, ce généraliste de Pleudihen a l’enthousiasme communicatif.
Depuis janvier 2005, avec son confrère cardiologue à Dinard, Thierry Denolle, il n’a lésiné ni sur les réunions, ni sur les courriels, ni sur les coups de fils pour monter ce projet . Au départ, c’est un élu généraliste de l’Urml, Jean-Yves Le Néel qui lança fin 2004 l’idée d’une expérience de prévention du risque vasculaire en ambulatoire sur trois sites, dont Rennes et Brest.
Et si Dinan sera finalement le seul à embarquer dans l’aventure, cela se doit à une conjonction de vents favorables. A commencer par l’existence d’un réseau cardiovasculaire dynamique sur le secteur. Thierry Denolle, élu de l’Urml, mais aussi cheville ouvrière du réseau RIvarance et associé à la préparation du Sross, ainsi que le dynamisme des généralistes du cru ont fait la différence.
Jugez plutôt: sur les 15 groupes qualité qui fonctionnent en Bretagne, quatre sont dinannais et cinq des généralistes du secteur sont -comme Gérard Hamonic- habilités par la HAS. Que rêver de plus pour faire de la sous-préfecture des Côtes d’Armor la tête de pont d’une expérience pilote?
Des moyens, bien sûr. « L’Urcam a bien joué le jeu, car au moment même où des coupes sombres étaient opérées dans les budgets des réseaux, elle est parvenue à dégager 130 000 euros supplémentaires pour monter ce projet, » se félicite le Dr Denolle.
A l’arrivée, c’est une expérimentation triplement originale qui est donc dispensée aux assurés. Il y a un an, un courrier de la Sécu proposant au millier de patients concernés de se rendre chez leur médecin traitant pour un bilan cardiovasculaire. En soi, le dépistage ne prend guère plus de temps qu’une consultation habituelle: « A partir des recommandations de la HAS, nous avons déterminé comme étant à risque, les personnes qui cumulent au moins trois facteurs de risque » rappelle Gérard Hamonic, visiblement ravi de ce travail de définition, réalisé en collaboration avec le centre de prévention cardiovasculaire du CHU de Rennes. En cas de surrisque avéré, le patient se voit alors proposer une consultation de prévention, avec examen clinique approfondi, qui débouche sur un projet personnalisé de prévention lui est proposé . « C’est très satisfaisant d’obtenir l’adhésion de son patient. Mais toute la difficulté pour le médecin est de ne pas mettre la barre trop haute pour améliorer les facteurs de risque du malade. Face à un patient fumeur et en surpoids, il vaudra peut-être mieux mettre l’accent sur l’exercice physique et ses habitudes alimentaires, avant de lui demander d’arrêter le tabac, » observe, réaliste, Gérard Hamonic.
A l’heure, où la réflexion sur le contenu du médecin traitant fait encore débat, Prévarance intéresse de près les autorités sanitaires.
Pour l’heure, la motivation des généralistes semble en tout cas évidente: sur 21 praticiens, 19 ont répondu présent. Un signe qui traduit une vraie attente. « L’objectif général -atteindre les gens qui ne connaissent pas leur risque cardiovasculaire- est stimulant. Ce qui m’intéressait aussi était de faire reconnaître les recommandations scientifiques et de monter un projet d’éducation thérapeutique », explique le dynamique Gérard Hamonic.
Avis corroboré par un de ses confrères de Lanvallay, petite bourgade aux portes de Dinan: « Cela correspond assez à l’idée que je me faisais du généraliste, explique le Dr Olivier Roland. Mais c’est valorisant, me permet de m’inscrire dans une démarche scientifique et me conforte dans mon rôle de généraliste, » estime ce jeune médecin qui s’est installé depuis le début 2006.
A Lanvallay, comme ailleurs, le médecin de famille n’est d’ailleurs pas seul à se mobiliser. Sitôt établi son projet thérapeutique, il passe le relais à l’infirmier pour le volet éducation du patient. Apprentissage de sa pathologie, reprise d’une activité physique, gestion d’un sevrage tabagique, modification de son alimentation…: toutes ces tâches sont confiés aux paramédicaux, le cas échéant épaulé par des diététiciennes. Délégation de compétences qui fait là encore du laboratoire Dinanais un chantier à suivre.
Prudent, Rémy Bataillon préfère parler« « de coopération professionnelle, puisque l’éducation du patient n’existe pas encore en tant que telle aujourd’hui ». Le directeur de l’Urml Bretagne estime pourtant qu’au-delà de Prévarance, le modèle dinanais pourrait essaimer : « ce n’est pas un réseau qui fonctionne avec les professionnels les plus motivés, mais une coopération professionnelle, qui mobilise tous les acteurs de santé. » A côté des généralistes et des infirmières, les pharmaciens jouent en effet aussi leur propre partition. Bien loin des polémiques qui ont entouré l’annonce de la « consultation de prévention » du pharmacien au plan national, Prévarance innove aussi dans ce domaine. Tel quinqua ou sexagénaire hésite à pousser la porte d’un cabinet pour se faire dépister ? Le pharmacien peut proposer une consultation de prévention, incluant poids, prise de tension et prescription d’analyses biologiques à tout patient qui n’aurait pas vu son médecin traitant depuis au moins un an.
Evidemment, pour les uns comme pour les autres, l’affaire reste un tantinet chronophage. Gérard Hamonic admet, mais nuance: « C’est sûr, on y passe du temps et il a fallu pour chacun suivre une formation. Mais ensuite, tout est question d’organisation. Si le praticien tient bien ses dossiers, ce sera facile. En revanche, les infirmières, doivent davantage s’adapter. » Dans ce contexte, le budget inclut outre l’indemnisation des formations, la participation des infirmières, au forfait, et la consultation du pharmacien, honorée 20 euros. Pour leur part, les médecins généralistes essuient les plâtres d’un mode de rémunération incluant un intéressement aux résultats: leurs consultations demeurent cotée et prise en charge dans le droit commun, mais un forfait de 1800 euros sera versée à tout praticien ayant atteint son objectif de 60%, soit de 25 à 78 personnes, selon la patientèle.
Il ne leur reste désormais que quelques semaines pour relever le défi. Dans la dernière ligne droite, Gérard Hamonic continue de motiver les troupes. Depuis le début de l’été, les médecins participant ont reçu la visite d’une attachée de recherche clinique. Et les patients encore récalcitrants ont été relancés. D’ici un an, une évaluation tirera les enseignements de ce chantier pionnier. Plusieurs thèses devraient aussi plancher sur le programme. Mais déjà, un premier bilan peut déjà être effectué. Au 1er juillet, alors que les deux tiers du chemin avaient été parcourus, 45% des patients avaient été dépistés, et sur cet échantillon, 15% de la population concernée étaient à haut risque cardio-vasculaire.
A ce stade, deux éléments tracassent les promoteurs du projet. Le premier n’étonnera pas les experts: en matière de dépistage, il est beaucoup plus difficile de convaincre les hommes. Et le rôle nouveau confié au pharmacien ne semble, pour l’heure, pas franchement avoir réussi à inverser la donne: « la porte d’entrée dans le dispositif demeurera à 90% le médecin généraliste, parie Thierrry Denolle. Le second bémol tient au suivi de la cohorte: « On s’aperçoit que nombre de patients dépistés et adressés à une infirmière, ne vont pas la voir ensuite, » relève le cardiologue Thierry Denolle. De ce point de vue, l’année 2007-2008 qui clôt cette expérimentation sera intéressante à analyser quant à l’évolution des facteurs de risque. Mais déjà, les responsables du projet retiennent à son actif une sensibilisation accrue des généralistes au risque cardiovasculaire et une coordination accrue entre professionnels: « nos réunions ont indéniablement renoué les relations, retient le Dr Hamonic. Les infirmières notamment se connaissaient peu entre elle. Et puis cela permet d’avoir un même discours auprès des patients. Un relais indispensable, si l’on veut faire de l’éducation thérapeutique. »
« De la prévention, pas de la répression »
Au départ, Olivier Roland était plutôt réticent. Et comme le raconte ce trentenaire, c’est l’enthousiasme des paramédicaux de sa commune qui l’a amené à répondre présent. Avec le recul, il a ensuite « complètement adhéré au projet: cela m’a conforté à faire de la prévention, et même pour les patients qui ne rentraient pas dans le cadre de cette étude ». Pour ce généraliste de Lanvallay « ce programme participe à valoriser le travail du généraliste, pour qu’il ne soit pas uniquement un guichet ». Et il apprécie de « s’inscrire ainsi dans une démarche scientifique. » Pour autant, il maintient ses critiques initiales: « un an c’est trop court, ce qui va être intéressant sera plutôt de voir comment vont évoluer les patients dépistés sur 10 ou 15 ans. A mon sens, il manque aussi un temps de coordination autour du patient. Passées les formations, il y a eu peu d’échanges ensuite. Ce serait pourtant fondamental pour accroître la motivation de certains patients. » Pour lui la difficulté pour le médecin est de décider les patients ciblés à s’engager dans un projet thérapeutique: «qu’ils soient fumeurs, en surpoids ou diabétiques, la plupart des gens dépistés reconnaissent être à risque. Mais ensuite, un suivi régulier leur fait souvent peur. Et d’ailleurs, nous sommes invités à repérer les gens, pas à leur imposer un suivi. On fait de la prévention, pas de la répression. »
Satisfait de sa participation le Dr Roland juge celle-ci de « moins en moins chronophage » au fil des dossiers, même si ce jeune confrère regrette de devoir utiliser un support papier. Comme les autres médecins engagés dans l’aventure, le Dr Roland ignorait encore, il y a quelques semaines, s’il atteindrait le seuil fatidique des 60%. « Si je n’étais pas rémunéré, je ne trouverai pas çà très normal, mais je n’en serai guère surpris. En revanche, cela me paraîtrait logique que ma participation soit validante pour l’EPP. »