15 Décembre 2016
C’est une bataille incroyable qui se joue dans les coulisses feutrées de la santé. Une bataille entre une association à but non lucratif basée à Dunkerque (Nord) et une agence d’Etat. En jeu ? Le très sensible marché des messageries sécurisées en santé qui doivent permettre à l’ensemble des professionnels d’échanger par mails des informations sur leurs patients.
Depuis avril 2013, l’Asip, Agence des systèmes d’information partagée, propose aux médecins et établissements de santé sa version maison : « MSSanté ». Seulement voilà, d’après le cabinet d’avocats Desmarais, spécialisé en informatique et santé, depuis mai 2015 l’Asip ne dispose plus d’agrément pour déployer MSS.
Dans une longue lettre datée du 20 mai, Pierre Desmarais vient d’interpeller la Commission nationale informatique et liberté (Cnil). Selon lui, l’autorisation accordée à titre expérimental en 2013 à l’Asip avait une validité de deux ans et n’aurait pas été renouvelée. L’avocat réclame donc la suppression de tout agrément pour MSS. Mais il évoque aussi d’autres problèmes de légalité qui, s’ils étaient fondés, pourraient remettre en cause une partie des missions de l’Asip.
Concurrence déloyale. Pierre Desmarais est, dans cette affaire, l’avocat de David contre Goliath car il défend les intérêts d’une association loi 1901, Apicem. Alors que les pouvoirs publics en sont à leur troisième tentative de développement coûteux d’une messagerie sécurisée dédiée aux professionnels de santé (médecins, infirmiers, pharmaciens, kynés, labo, hôpitaux...), Apicem propose depuis déjà 1996 Apicrypt.
Simple et cryptée de bout en bout, pour 69€ par an, cette messagerie a séduit à ce jour 62000 médecins, laboratoires et établissements de santé, dont l’AP-HP, l’hôpital de Versailles, les CHU de Reims, Brest et Toulouse...
Mais aujourd’hui, certains établissements sont poussés à rejoindre la messagerie de l’Asip qui ne compte que 25000 adresses.
Le CHU de Montpellier aurait ainsi touché quelque 220 000€ pour basculer sa messagerie vers celle de l’Asip.
Cette concurrence est un des problèmes soulevés par Me Desmarais : en proposant une messagerie gratuite, l’Asip, établissement public et subventionné, fausse la concurrence, ce qui est illégal, assure-t-il.
Mensonge par omission. En 2013, l’agence a obtenu son agrément provisoire en arguant qu’il n’existait pas de messagerie sécurisée en santé. Or, Apicrypt comptait déjà plus de 40000 utilisateurs. «L’Asip, écrit Pierre Desmarais, a fait croire que tout autre service que la MSS était illicite ». « Ce qui est totalement faux, explique le fondateur d’Apicem, le Dr Alain Caron. Notre messagerie est la plus sécurisée du marché, impossible à cracker. Elle est parfaitement conforme à toute la réglementation. Une infirmière peut même envoyer pour avis une photo d’un patient à un médecin en toute sécurité». Cette efficacité lui a d’ailleurs valu en octobre dernier le label « France cyber sécurité ».
Bonus : Apicrypt est compatible avec le dossier médical personnel partagé (DMP) sur lequel peuvent être archivées les informations des patients (mails, ordonnances, radio, analyses...). DMP que les pouvoirs publics peinent à imposer depuis 2004 malgré des centaines de millions d’euros déjà dépensés !
« Pas de contentieux ». Directeur de l’Asip, Michel Gagneux conteste en bloc les accusations de l’avocat. « Nous n’avons aucun contentieux avec Apicem », dit-il. Il assure ne plus avoir besoin d’agrément pour MSS. Enfin, il conteste vouloir faire obstruction au succès d’Apicrypt dont la future version nécessite un agrément. Simplement, « cette messagerie doit encore faire évoluer ses normes de sécurité et d’inter-opérabilité », affirme-t-il. Ce que conteste le Dr Caron qui dit avoir fait appel à des consultants experts pour monter son dossier. « Les pouvoirs publics ne supportent pas l’idée d’échouer là où une petite association à but non lucratif réussit», analyse-t-il.
« 15 mois d’instruction au lieu de 8». Depuis février 2015, Apicem attend son agrément pour son futur hébergeur qui doit permettre le déploiement de la nouvelle version d’Apicrypt. Or, c’est justement l’Asip qui pré-instruit la demande. « Habituellement, c’est traité en huit mois. Nous on attend depuis 15 mois et on n'a toujours rien», s’étonne Alain Caron.
Généralisable pour 24 M€. «Lors de notre première rencontre en 2012 avec Marisol Touraine, ministre de la Santé, nous lui avons parlé d’Apicrypt, raconte Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France et utilisateur de la messagerie de longue date. Nous lui avions expliqué qu’Apicem pouvait déployer sa messagerie sur toute la France en six mois et pour moins de 24 millions d’euros. Ça aurait permis de mettre fin à la gabegie. Quatre ans plus tard, conclut-il, les fonctionnaires ne veulent toujours pas de cette solution et préfèrent poursuivre dans la voie du gaspillage et des bugs de MSS qui justifient son insuccès auprès des médecins».
Suite à ce courrier, l’Asip a décidé de s’expliquer lors d’une conférence de presse, mercredi. Apicem aura-t-il son agrément ? On attend aussi la réaction de la Cnil.
leparisien.fr
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