12 Mars 2015
COMMUNIQUE DE PRESSE Internes en Médecine Brest
Brest, le 11 mars 2015
C’est avec un certain étonnement que nous avons découvert dans l’édition du 11 mars 2015 du télégramme de Brest, page 11, un article intitulé “TiersPayant, l’expérience d’un cabinet brestois”.
Nous, internes en médecine des hôpitaux de Brest et futurs médecins de Bretagne, sommes étonnés de cette présentation démagogique du tiers payant par un médecin ne représentant l’avis que de 2% de ses confrères. Ce médecin se contente en effet de reprendre point par point les arguments mensongers et fallacieux des porteurs du projet de loi, tout en omettant les dangers que présente la généralisation du tierspayant pour les patients.
Nous sommes particulièrement stupéfaits de la publication de cet article à quelques jours du 15 mars 2015 où se déroulera à Paris une manifestation d’ampleur nationale regroupant l’ensemble des syndicats de médecins et internes en médecine une première auxquels s’adjoindront infirmiers, dentistes, kinésithérapeutes, orthophonistes, et bien d’autres professions médicales et paramédicales, soit 60 syndicats.
Nous regrettons que la communication autour du projet de loi Santé ne s’articule, selon la volonté du ministère, qu’autour du tierspayant généralisé, alors qu’il ne s’agit que d’un seul élément de la loi. En effet, derrière cet écran de fumée se cache en réalité une multitude d’autres articles, pourtant parfois simples à comprendre, mais délétères pour la santé de nos concitoyens.
Ne pas oublier l’avis de 98% des médecins sur le tierspayant !
L’absence de contrearguments à l’article, sur lesquels s’appuient pourtant 98% des médecins selon le journal “le quotidien du médecin” pour demander un retrait du projet de loi, est déloyale envers le corps médical.
Nous exigeons, par respect pour la déontologie journalistique, qu’un article paraisse dans ce même journal pour présenter les contrearguments à l’instauration du tierspayant généralisé, principalement ceux qui ont pour objectif la protection des patients.
A Brest, ce sont 97% des internes qui se disent contre la loi Santé. Plus de la moitié des internes au CHU sont en grève illimitée, chaque jour depuis plus d’un mois, contre le projet de loi.
|
Ce que le Dr Ratel oublie de préciser dans l’article ... ● 1) Gère til luimême le tiers payant ? Le Dr Ratel indique que cela ne prend que 2 minutes par soir pour télétransmettre ... mais n’indique pas le temps passé à pointer la réception des paiements et vérifier les fréquentes erreurs ? Car contrairement à ce qu’indique le Dr Ratel, la gestion du tiers payant ne consiste pas simplement à télétransmettre d’un click de souris. Nous remercions le Dr Ratel d’expliquer qu’il y a une triple comptabilité à tenir : une pour ce qui est versé par la sécurité sociale, puis une autre pour ce qui est versé par les mutuelles, et la dernière pour le reste à charge, classiquement le 1 euro forfaitaire payé par le patient. Sachant qu’il existe plus de 10 organismes de sécurité sociale, répartis sur plus de 200 caisses, et plus de 600 mutuelles, avec une multitude de contrats possibles, invisibles sur la carte vitale. Nous regrettons qu’il n’explique pas comment il gère les 10,11% d’actes rejetés en moyenne en France par la télétransmission (voir point n°2). Ou comment il gère les 20% en moyenne d’absence de versement par la sécurité sociale du forfait MPA de 5 euros par acte pour les patients âgés. Le Dr Ratel oublie qu’il n’y a en France que 0,3 secrétaires médicales pour 1 médecin généraliste. Il possède, lui, une secrétaire, capable de s’occuper des tâches administratives, employée partagée au sein d’un cabinet de groupe, dans une zone considérée médicalement dense par l’ARS. Ses confrères en déserts médicaux, qui exercent souvent seuls, ne peuvent se payer le luxe d’une secrétaire médicale et devront gérer cette triple comptabilité, différée et laborieuse ; seuls. Les propos du Dr Ratel n’engagent que lui et démontrent une absence de solidarité avec ses confrères des déserts médicaux. Pour mémoire les médecins généralistes travaillent 55h en moyenne par semaine, dont environ 5h à des tâches administratives. Cette quantité de travail hebdomadaire est plus importante dans les zones médicalement moins denses. Le tierspayant veut être instauré au nom d’un meilleur accès aux soins pour tous. Mais nous rappelons que le premier critère de renoncement à consulter un médecin n’est pas le prix, mais le délai d’attente pour obtenir un rendezvous. |
|
Estce raisonnable alors de demander au médecin de nouvelles tâches administratives, qui se feront inévitablement au détriment du temps disponible pour soigner les patients, particulièrement dans les déserts médicaux ?
● 2) Il ne donne pas son taux d’impayés et les charges imputés à la gestion du tierspayant ! L’observatoire du tierspayant a étudié la comptabilité de 18 centres travaillant comme le Dr Ratel. Il s’agit d’études sérieuses réalisées en 2010 et 2012 réciproquement par des consultants mandatés par la mairie de Paris et l’ARS d’îledeFrance. Le taux d’impayés est en moyenne de 2%. Le taux de rejet, donc de gestion manuelle posttélétransmission, est de 10.11% soit une charge supplémentaire moyenne de 4,38 euros par acte. Cela représente 19% du prix d’une consultation à 23 euros chez un généraliste. Hors coûts d’équipement informatique, la généralisation du tierspayant à valeur d’acte constant revient à une baisse de 28.5% du revenu des médecins !
● 3) Il utilise des arguments fallacieux concernant une revendication tarifaire ! L e Dr Ratel indique que l’opposition au tierspayant cache en vérité la revendication de la consultation à 25 euros. C’est un mensonge, principalement pour éviter de parler des véritables oppositions au tierspayant. Seuls quelques syndicats minoritaires revendiquent la revalorisation de la consultation à 25 euros. Nous, internes en médecine de Brest, ne revendiquons aucune revalorisation du tarif de la consultation. La majorité des syndicats de médecins sont de cet avis, dans un contexte difficile de maîtrise des dépenses de santé et de crise économique nationale. Nous rappelons juste que la consultation à 23 euros est la plus basse en Europe, après Chypre, et que 25% des médecins généralistes gagnent moins de 3000 euros par mois pour 55h de travail hebdomadaire, soit 1900 euros nets en équivalent 35h. Il est regrettable de jeter ainsi l'opprobre sur une profession, en réduisant ses arguments qui plus est, à tord à la seule vile recherche du gain. Le Dr Ratel aurait été plus clairvoyant de dire que “ le tierspayant cache en vérité la privatisation rampante de la santé en France “. (voir point n°5)
● 4) Il vante une rémunération au forfait, pourtant future source de disparité médicale ! Le Dr Ratel oublie que le projet de loi Santé intègre la régionalisation de la rémunération au forfait, au bon vouloir des agences régionales de santé. C’est à dire que les ARS pourront choisir les zones où les forfaits de prise en charge s’appliqueront, modulant ainsi la rémunération des médecins en fonction de leur région d’exercice. Ceci provoquera la désertification de certaines zones par ce qui s’apparente à des mesures désincitatives. |
|
Aussi, la rémunération des médecins étant en lien direct avec la la capacité d’achat ou de renouvellement de matériel médical de pointe, cela induira indirectement une inégalité d’accès et de qualité de soins sur le territoire pour les patients. Le Dr Ratel indique que la rémunération à l’acte est une prime à la médiocrité. C’est pourtant la rémunération au forfait régionalisé, comme prévue dans le projet de loi, qui provoquera la médiocrité dans certains cabinets médicaux, et la pauvreté de l’offre ou de la qualité des soins dans certains territoires.
● 5) Il ne semble pas savoir ce que le tierspayant cache réellement ! De façon étonnamment aveugle, le Dr Ratel ne semble pas s'émouvoir de ce que cache réellement la généralisation du tierspayant. Outre la perte d’indépendance du médecin, soumis aux pouvoirs des ARS et des mutuelles, le Dr Ratel aurait pu faire remarquer la déconsidération de l’acte et donc de celui qui le pratique par sa gratuité, ou tout simplement que le tierspayant prépare le terrain à la future privatisation de la santé en France, au bénéfice des mutuelles. En effet le Dr Ratel explique très bien les tarifs versés par chaque organisme avec lesquels il travaille régulièrement. Demain, avec le tierspayant généralisé, le patient ne pourra pas voir sur les 23 euros quelle est réellement la part sécurité sociale et la part mutuelle. La sécurité sociale pourra continuer, comme elle le fait depuis des années, à se soustraire petit à petit de la prise en charge des soins, au détriment des mutuelles. Nous, internes en médecine de Brest, sommes attachés à la sécurité sociale en tant qu’assurance nationale unique et solidaire, et refusons la logique comptable que les mutuelles privées veulent étendre à l’ensemble des secteurs de la santé en France.
6) Il nie l’évidence ... qui s’impose pourtant dans ses propos ! Enfin, le Dr Ratel dit que la gestion du tierspayant n’est pas une usine à gaz ... mais explique pourtant quelques paragraphes plus loin l’inverse. Il décrit l’usine à gaz que consisterait à travailler avec certaines mutuelles, incapables, comme les sécurités sociales et mutuelles étudiantes, de gérer correctement le tierspayant. Pour nous, il est impensable de que le tierspayant devienne obligatoire avec des organismes aussi peu fiables administrativement depuis tant d’années, malgré les promesses en 2012 de la ministre Marisol Touraine d’un retour à la normale, à l'époque, en quelques semaines. En effet, le Dr Ratel n’explique pas comment il procédera avec ces institutions pour lesquels des feuilles de soins ne sont toujours pas traitées depuis 2011, comme l’a récemment démontré un reportage à la télévision publique dans l’émission “ des racines et des ailes “. |
Pour tous ces arguments, nous demandons un droit de réponse à cet article dans le Télégramme.
Nous, internes en médecine de Brest, ne nous reconnaissons pas dans les propos du Dr Ratel, installé depuis 33 ans et qui prendra sa retraite lorsque nous, futurs praticiens de la région, prendrons sa relève dans quelques années. Notre vision de la pratique médicale au travers les articles de la loi Santé, et principalement sur le volet tierspayant, est totalement différente de la sienne et rejoint à 97% l’avis des 98% de médecins se déclarant contre le tierspayant, pour les raisons suscités, et bien d’autres.
Nous demandons à ce que la presse et les médias parlent des autres articles de la loi Santé, et ne se contentent pas de traiter du seul cas du tierspayant. Ce dernier est mis volontairement en avant par le service de communication du ministère de la santé, car seul élément populaire de la loi ; et nous regrettons que ne soient pas abordés les éléments qui touchent au secret médical, à la démographie médicale, aux pouvoirs étendus de l’ARS et des mutuelles, à la formation des internes ou à la délégation de tâches.
Nous sommes à la disposition de la rédaction du Télégramme, ainsi que des autres médias, pour répondre à chacune de leurs questions concernant le mouvement de grève des internes des hôpitaux de Brest, ainsi que les revendications relatives au projet de loi Santé contre lequel nous luttons, et pour lequel nous défilerons le 15 mars prochain à Paris.
Sources :
● http://www.lequotidiendumedecin.fr/actualite/politique/lesmedecinsliberauxrejettenttoutenbloc
● http://www.irdes.fr/Publications/Qes/Qes144.pdf
● https://www.youtube.com/watch?v=6Uh8vYTKVUg
● http://www.ars.bretagne.sante.fr/fileadmin/BRETAGNE/Site_internet/Professionnels_structures_sante/Suiv re_la_demographie_des_PS/Zonages/Zonage_pluriprofessionnel/Zones_prioritaires_fev.2014.jpg
● http://tierspayant.org/blog/2014/11/combiencoutetierspayantgeneralise
● http://www.inpes.sante.fr/70000/dp/00/dp000119.pdf
● http://tierspayant.org/blog/2015/02/commentcontrolerbonversementforfaitmpa
● http://www.20minutes.fr/societe/154049120150213reportagefrance2mutuellesetudiantescreepolemiq ue